Réhabiliter un bâtiment sans étude de programmation : bonne ou mauvaise idée ?
Dirigeante du cabinet AB PROGRAMMATION, Asja BAJBUTOVIC est spécialisée dans les études de faisabilité, de programmation et d’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour l’organisation de la consultation des maîtres d’œuvre et le suivi des études. Auparavant, elle était responsable de la programmation architecturale dans l’agence Clé Millet International pendant plus de 8 ans.
Pour CFC Formations, Asja BAJBUTOVIC anime notre formation sur la programmation architecturale, technique et fonctionnelle d’un ouvrage public.
Première situation
Le maire d’une petite commune souhaite confier à un architecte la rénovation de la bibliothèque municipale. Il veut aller vite, ce projet sera l’opération phare de son mandat, les travaux doivent impérativement être terminés avant les prochaines élections.
Le Maire demande aux services techniques de sortir rapidement un programme. Ils font 2-3 réunions avec le personnel de la bibliothèque pour pouvoir bâtir un tableau des surfaces. On y ajoute un bref descriptif du site, les plans du bâtiment, la liste avec quelques objectifs, on met le titre « Programme » sur la couverture et c’est bon. La consultation peut être lancée !
Le maître d’œuvre est choisi par une procédure adaptée, sans prestations graphiques, car il faut aller vite. L’équipe fait le DIAG, demande des sondages techniques, dessine le projet – APS (Études d’Avant-Projet Sommaire) et APD (Études d’Avant-Projet Définitif) fusionnés en AVP (Études d’Avant-Projet) pour aller plus vite – il chiffre le budget et établit un calendrier prévisionnel.
Les plans de l’AVP sont montrés aux utilisateurs – l’équipe de la bibliothèque. Et rien ne va : la configuration des espaces d’accueil / des prêts / des retours ne correspond pas du tout aux modalités de fonctionnement de cette bibliothèque. La salle de consultation est beaucoup trop petite et il n’y a pas de salles d’étude, pourtant nécessaires. Les magasins de conservation sont dimensionnés pour la quantité actuelle d’ouvrages et ne tiennent pas compte de l’accroissement annuel (le bâtiment sera donc déjà trop petit quand les travaux seront terminés). L’entrée logistique n’est pas sécurisée. Les espaces de reliure et de traitement des livres sont inexistants, alors que l’établissement n’a pas le budget pour effectuer ces missions sur un site externe.
Puis, une fois les diagnostics techniques enfin disponibles, les travaux s’avèrent bien plus importants que prévu : dépollution de l’amiante et du plomb, traitement sanitaire de la charpente, renforcement des planchers nécessaire pour répondre aux normes actuelles de construction… Le budget et le calendrier de l’opération explosent.
Le maire ne comprend pas.
Pourtant, dans le village à côté, une salle des mariages a été réhabilitée pour deux fois moins cher que le coût estimé pour ce projet. Comment est-ce possible ?
Deuxième situation
Un monument historique, qui est aussi un haut lieu touristique, rencontre plusieurs dysfonctionnements : l’accueil du public est trop petit, les espaces publics ne sont pas accessibles aux handicapés, les bureaux sont insuffisants, les locaux de stockages logistiques inexistants.
Avant d’engager une étude de programmation pour la réhabilitation du site et le réaménagement des espaces, la collectivité qui est Maître d’ouvrage définit un schéma directeur. Le document donne des orientations claires sur le budget et le planning, mais aussi sur l’implantation de nouvelles activités à vocation économique – boutique et salon de thé – répondant à l’objectif de la collectivité d’augmenter les recettes sur ce site.
Un concours de Maîtrise d’œuvre a eu lieu 10 ans auparavant, arrêté par la DRAC qui n’avait pas autorisée la surélévation d’une aile historique du monument. Cette fois, l’aile en question ne sera pas concernée, donc le Maître d’ouvrage décide de construire des espaces à vocation économique sur une partie du site. Partie encore plus ancienne que l’aile qui a posé problème 10 ans plus tôt.
Le schéma directeur a été voté, puis la collectivité décide le lancement de l’étude de programmation.
À la suite de l’analyse de l’existant, l’équipe de programmistes donne un avis défavorable à la construction dans la zone pressentie. Le Maître d’ouvrage insiste, alors l’étude avance : la concertation avec les utilisateurs est faite, les scénarios testent plusieurs solutions – celles demandées par la collectivité et d’autres implantations plus discrètes et moins destructrices pour le patrimoine.
Le maître d’ouvrage, qui a interdit à l’AMO (Assistant à maîtrise d’ouvrage) au début de sa mission d’associer la DRAC à cette étude, impose plusieurs variantes dans les scénarios. L’équipe de programmation demande que son nom soit enlevé de l’étude de faisabilité, car les documents ne suivent aucune de ses recommandations.
Sans surprise, le Maître d’ouvrage valide le seul scénario souhaité dès le départ, malgré plusieurs autres solutions possibles, plus cohérentes et moins invasives. L’argument utilisé : cela a été voté par les élus et on ne peut pas revenir en arrière !
Le budget est donc validé, le phasage défini. Et il est demandé aux programmistes de rédiger rapidement le programme pour la phase 1, afin de pouvoir lancer le concours au plus vite.
Le programme de la première phase terminé, la collectivité invite la DRAC à effectuer une visite du site, lors de laquelle l’information sur le lancement prochain du concours est annoncée. La DRAC étudie le dossier. Et arrête la consultation.
S’en suivent de longs mois de discussions techniques, mais aussi politiques, pour trouver une solution. Finalement, le projet est abandonné. Une nouvelle équipe projet a été constituée au sein de la Maîtrise d’ouvrage pour imaginer un projet différent, mieux adapté aux contraintes de ce magnifique site.
Troisième situation
Une grande ville, qui a l’habitude des projets d’envergure, décide de revitaliser un îlot situé au cœur de son centre historique, îlot monumental mais mal entretenu et nécessitant une réhabilitation lourde. Une opportunité immobilière se présente, la ville souhaite s’en saisir pour y faire une grande opération. Mais elle ne sait pas laquelle…
À quelques centaines de mètres de là, un grand équipement public manque de surfaces et voudrait faire une extension pour mieux accueillir ses visiteurs. Faisons d’une pierre deux coups : l’extension va se faire sur l’îlot libéré. La décision politique est prise. La Maîtrise d’ouvrage déléguée est confiée à un opérateur expérimenté qui sait maîtriser les budgets et les plannings. Une équipe de programmistes est choisie.
L’analyse de l’existant au début de l’étude de programmation identifie la typologie des espaces : grandes salles dans l’établissement qui a besoin d’une extension / ailes étroites et compartimentées dans l’îlot disponible.
Plus l’étude avance, plus les divergences sont grandes entre les besoins et ce que le futur site est capable d’offrir. L’établissement ne trouve pas dans son fonctionnement comment s’externaliser aussi loin ni que faire dedans. Malgré plusieurs mois de séances intensives de travail avec les programmistes, l’équipe de l’établissement n’arrive pas à inventer de nouveaux besoins pour s’adapter au futur site, ni comprimer ses besoins existants qui réclament d’autres types de locaux et d’autres proximités.
Le projet patine, les tensions montent entre d’un côté les élus qui « offrent » un site disponible au centre-ville et de l’autre côté les gestionnaires de l’établissement qui ne trouvent pas comment rentrer dans cet écrin proposé, beau et prestigieux certes, mais inadapté pour eux.
Comme la vie fait souvent bien les choses, le projet de déménagement qui devait libérer l’îlot a été repoussé à cause du retard d’un troisième projet. Le budget de l’opération globale s’est avéré énorme, il a fallu faire des choix. L’établissement a pu trouver quelques possibilités d’extension sur son site actuel, permettant de répondre à ses principaux besoins.
Et l’îlot ? Ce sera pour une autre histoire.
La morale de toutes ces histoires
Il faut mieux consacrer du temps en phase de programmation pour livrer à temps l’ouvrage désiré.
Ou, dit autrement : il est indispensable de réaliser une étude de programmation sans griller d’étapes et sans figer les décisions politiques avant de disposer de l’étude de faisabilité…
… car aucune urgence calendaire ne fera sortir le projet s’il n’est pas prêt.
Et c’est valable en construction neuve, mais plus encore sur des projets de réhabilitation !
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