Bâtiment et Construction

Comment se prémunir des risques lors de la conception d’une opération de travaux pour garantir la santé et la sécurité sur les chantiers ?

Le 4/03/25 par Claude Djalane, Consultant-Formateur en prévention des risques professionnels

 

Diplômé d’une maîtrise en Génie Civil et de Capacité en Conduite de Travaux à l’ESTP Paris DU. Risques psychosociaux, Claude DJALANE a travaillé sur plusieurs postes en tant qu’agent de maîtrise pour GTM – Groupe Vinci et en tant que Coordinateur Sécurité, Protection de la santé en conception et réalisation des opérations de BTP pour le Bureau Veritas. Il a notamment pu travailler sur des projets de coordination SPS et assistance MOA pour le Musée du Quai Branly, du Palais de Tokyo ou encore du Grand Palais.

Il est actuellement Consultant en Assistance en prévention des risques professionnels pour AMO Solutions mais également formateur certifié OPPBTP pour l’hygiène, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail.

 

Quels sont les principaux manquements que vous observez en matière de SST dans le montage d’une opération de travaux ?

Le montage d’une opération de construction dans le cadre d’un chantier sous coordination SPS (Sécurité Protection de la Santé) est soumis à de nombreuses obligations en matière de santé et sécurité, tant en phase de préparation de l’opération que pendant sa réalisation, obligations qui sont régies par des décrets et arrêtés dans le code du travail et imputables aux acteurs de la construction.

 

Or un des manquements récurrents que je peux constater concerne la phase de conception, souvent tronquée et au cours de laquelle l’analyse des risques ne fait pas l’objet d’une réflexion suffisamment poussée ni d’une vraie concertation, générant à l’étude de nombreux “trous dans la raquette” des principes généraux de la prévention (PGP).

 

Une autre problématique est la nomination encore tardive du coordonnateur SPS dans le processus de conception du projet.

 

Enfin, les moyens accordés à la coordination SPS pour une mission à minima correcte si ce n’est de qualité, sont souvent sous-évalués, voire réduits à pas grand-chose au regard du montant des opérations.

 

Or ces manquements entravent les mesures devant obligatoirement être mises en place afin d’être en adéquation avec les objectifs des pouvoirs publics qui tous les cinq ans fixent les grandes orientations liées à la santé au travail. Le 4° plan (PST4) pour la période 2021-2025 est construit autour de 10 objectifs et d’un axe transversal relatif à la lutte contre les accidents graves et mortels. La primauté de la logique de la prévention par rapport à la logique de la réparation est fondamentale.

Le rapport annuel de l’assurance maladie de décembre 2024 relève une baisse de la sinistralité du BTP en 2023 avec des AT en baisse par rapport à 2022 (-1,5 %) , les accidents de trajet et les maladies professionnelles augmentent quant à eux de + 5,1 % et + 7,3 %.

 

Le BTP reste cependant l’un des secteurs les plus impactés par la sinistralité :  149 décès (759 décès tous secteurs confondus) et cumule 76 758 accidents du travail.

A l’origine des AT : les chutes de hauteur et de plain-pied, les accidents routiers, les manutentions manuelles. Autant de risques à traiter en conception des projets !

 

 

Quels sont les enjeux pour un maître d’ouvrage d’intégrer cette dimension de prévention des risques liés aux accidents et maladies professionnelles dès la conception d’une opération de travaux ?

La plus grande partie de l’évaluation des risques et des mesures de prévention adaptées au projet de construction se dessine et se décide durant la phase de conception du projet. Ce sont en quelque sorte les règles du jeu de la prévention qui s’écrivent durant cette phase cruciale. Ces règles seront ensuite réparties dans les pièces écrites du marché. Faute de cela, les anomalies vont très vite apparaître avec des risques d’accident accrus. Dérives, dépassements temporels et budgétaires vont augmenter car il faudra bien à un moment corriger le tir…sans compter le risque de voir le chantier arrêté par l’inspection du travail, et cela à juste titre !

 

L’intégration de la prévention des risques par un maître d’ouvrage est cruciale. Cela permet de :

  • Assurer la sécurité des travailleurs et du public
  • Réduire les coûts liés aux accidents et incidents.
  • Présenter un chantier respectueux des hommes et de l’environnement qui valorise son image et est une réponse concrète à sa responsabilité sociétale (RSE).
  • Contribuer à la conformité réglementaire.

 

 

Et quels sont les enjeux pour les entreprises d’intégrer cette dimension de la prévention ?

Pour l’entreprise, les enjeux de la prévention sont également forts et nombreux.

 

En premier lieu, c’est le respect de ses obligations réglementaire qui est en jeu : l’entreprise se prémunit de condamnations en cas de manquement à ces obligations en s’engageant dans une meilleure organisation du déroulement des chantiers.

 

Ensuite, une meilleure gestion des aléas permet une meilleure maîtrise des coûts du projet. C’est le nouveau paradigme de la prévention : investir dans la prévention RAPPORTE, et ce n’est pas une vue de l’esprit ! Cela se décline en :

  • Réduction des coûts d’assurance (réduction de primes d’assurance allant jusqu’à 20%)
  • Réduction des coûts de production : Etude de l’OPPBTP sur 250 cas pendant une durée de 1,3 ans : Estimation du retour sur investissement (ROI) 2,34€ pour 1€ investi en économie de coûts liés aux accidents et interruptions de travail)
  • Amélioration de la productivité : 15% en moyenne en raison de la réduction des arrêts de travail et jours de maladies
  • Réduction des coûts liés aux litiges et amendes allant jusqu’à 30%

 

Enfin, dernier enjeu pour l’entreprise et non des moindres : présenter un chantier respectueux des hommes et de l’environnement qui valorise son image et est une réponse concrète à sa responsabilité sociétale (RSE).

 

 

Quels moyens doivent être mis en place pour anticiper et éviter les accidents ?

Tout d’abord, la mise en place sous la direction du maître d’ouvrage d’une véritable concertation et d’une coopération réelle entre les différents intervenants du projet et cela, dès les études d’avant-projet de l’ouvrage. L’objectif étant de garantir la sécurité et la santé des travailleurs en organisant et en coordonnant les interventions de manière efficace. Le maître d’ouvrage doit donc s’entourer de personnes compétentes, ce qui a bien sûr un prix, je dirai même le juste prix pour une mission de qualité. Les modalités pratiques de coopération (art. R4532-6 du code du travail) sont une des clefs de la réussite du projet et doivent être détaillées dans un document joint aux contrats conclus avec les différents intervenants.

 

En deuxième point, une logique de mutualisation des moyens comme la création d’un lot logistique et d’un lot échafaudage. Portées par le coordonnateur SPS en concertation avec le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre, ces mutualisations des moyens doivent décidées en phase de conception, et matérialisée par la rédaction de CCTP spécifiques bien détaillés. A ce propos l’Assurance Maladie, dans sa publication “Chantier de construction : prévention des risques, logistique et avantage économique “ (janvier 2021) conclue à une réduction des coûts de construction de l’ordre de 3,6% grâce à la mise en œuvre d’une logistique sur un chantier.

 

Enfin dernier point, l’anticipation et l’évitement des accidents par l’analyse des risques nécessitent la formation et l’information des acteurs du projet ainsi que le choix de missions et prestations qui ne doivent être ni vendues, ni achetées au rabais.

 

 

Quels sont vos retours d’expérience sur le sujet ?

Mes 20 dernières années de coordination SPS sur des opérations de tailles variées et donneurs d’ordre publics comme privés m’ont permis de constater des progrès en matière de logistique de chantier : la disposition d’un lot spécifique dédié à la logistique et à la gestion des installations de chantier à travers une mutualisation des moyens est une avancée majeure !

 

Il est simple d’en comprendre la raison en faisant le parallèle avec, par exemple, la création d’un lot échafaudage commun : monter, démonter, modifier un échafaudage requièrent de véritables compétences et un personnel suffisamment formé pour ces opérations risquées. Beaucoup d’entreprises n’ont pas ce personnel. Une meilleure maîtrise des risques est donc visée avec cette mutualisation des moyens. Malheureusement tout dépend en premier lieu de la volonté des acteurs du projet d’aller au-delà de la simple obligation réglementaire. Il faut encore se battre pour obtenir des installations de chantier dignes de ce nom avec, par exemple, des cheminements propres et éclairés en permanence.

 

La prise en compte immédiate des remarques du coordonnateur SPS est parfois difficile. J’ai pu tester plusieurs approches en matière de mission de coordination SPS et le constat est que rien n’est jamais acquis d’avance. J’ai parfois du mal à comprendre certaines postures, certaines réactions et comportements qui vont à l’encontre des évolutions sociales et sociétales.

 

Je côtoie et ai côtoyé le très bon (15 %), le bon (35 %), le moyen (35 %), le mauvais (15%)!

 

Avec l’âge et l’expérience, j’arrive à avancer mes pions et à convaincre plus facilement. Je suis aidé en cela pas un changement des mentalités constaté ces dernières années et peux donc témoigner des progrès accomplis.

 

Mais le chemin reste long pour atteindre le niveau de prévention renforcée inscrit dans le Plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels (PATGM) du ministère de travail mis à jour en octobre 2024. Car d’après les statistiques, le taux de fréquence hexagonal des accidents de travail (AT) mortels est l’un des plus élevés d’Europe, comparable à celui de Malte ou de la Roumanie. Et pour les AT non mortels, la France est en queue de peloton (chiffres cependant à relativiser car les modes de calculs diffèrent suivant les pays !)

 

 

Quelles sont les perspectives pour 2025 et quelles sont vos propres perspectives ?

Fin 2024, la DGT (Direction générale du Travail) a poursuivi une campagne nationale axée sur la prévention des accidents du travail dans les secteurs les plus accidentogènes, comme le BTP. L’objectif étant de sensibiliser davantage les employeurs et de les impliquer dans la réévaluation des risques : la réduction du nombre d’accidents mortels fait partie des priorités du ministère du Travail.

 

Par ailleurs, le Gouvernement a présenté, jeudi 11 octobre 2024, les quatre objectifs prioritaires visant à promouvoir la santé mentale érigée en Grande cause nationale pour l’année 2025. Or c’est un volet qu’il ne faut absolument pas occulter ni négliger dans le B.T.P car tous les facteurs de risques y sont bien présents. Le B.T.P commence à s’y intéresser mais cela reste encore très marginal.

 

Personnellement et au titre de formateur en prévention des risques, je vais insister sur la prévention primaire au travail et la culture de la prévention, notamment pour mieux informer et outiller le réseau académique professionnel et les personnels en établissement sur les enjeux de la santé et sécurité au travail des jeunes en formation professionnelle. J’ai suivi des formations dans ce domaine et je compte dans mes pratiques avoir une vision élargie des risques pour initier certaines mesures de prévention en phase conception et réalisation….une affaire à suivre pour les années à venir !

 

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