Marchés Publics

La gestion du stress chez les acheteurs publics : quels leviers d’amélioration ?

Le 11/10/22 par Fabien ODINOT, Conseiller Marchés et Achats publics pour le Conseil Départemental de la Gironde

 

 

Interview de Fabien ODINOT, Conseiller Marchés et Achats publics pour le Conseil Départemental de la Gironde.

Pour CFC Formations, Fabien ODINOT conçoit et anime des formations sur la préparation et la passation des marchés publics ainsi que sur l’analyse des offres, et notamment

notre formation : « Les marchés publics en pratique : techniques, méthodes et analyse ».

 

 

 

CFC Formations : Diriez-vous que la fonction d’acheteur public est particulièrement soumise au stress ?

Fabien ODINOT : Il est important pour ce thème de définir la fonction d’acheteur public. Il s’agit là de l’ensemble des acteurs de l’achat participant à la mise en œuvre des différentes étapes de passation d’un marché au sein d’une structure entrant dans le champ d’application du code la commande publique (Acheteur = Pourvoir Adjudicateur et/ou Entité adjudicatrice).

Les intervenants dans la passation d’un marché peuvent être variables d’un Acheteur à un autre (prescripteurs, rédacteurs, gestionnaires, assistants, conseillers, juristes, responsables achat, acheteurs…). Ces acteurs de l’achat agissent à des niveaux différents mais ont une obligation de résultat en participant à l’atteinte d’un objectif commun, la satisfaction des besoins dans le respect des dispositions réglementaires du Code de la commande publique.

 

Cet objectif est fréquemment soumis à des urgences opérationnelles, hiérarchiques, politiques ou à des contraintes temporelles et organisationnelles nécessitant de se mobiliser, en équipe, dans des délais contraints.

L’adaptabilité fait donc partie intégrante de la fonction d’acheteur public, chaque besoin étant soumis à des particularités et à des attentes diverses qu’il convient de détecter, de synthétiser, nécessitant de la part des intervenants de se remettre en question continuellement, afin de se poser les bonnes questions de manière à sécuriser et à optimiser l’acte d’achat. L’innovation est aussi présente dans la fonction d’acheteur public, c’est d’ailleurs l’un des attraits de ce métier.

 

Néanmoins, cette adaptabilité permanente peut être vecteur d’un stress récurrent amplifié par l’environnement de travail. Les problématiques managériales et le processus interne (le « qui fait quoi ? ») sont propres à chaque Acheteur et peuvent parfois se révéler incohérents au regard des objectifs imposés, ayant pour conséquence de rajouter une pression supplémentaire aux différents acteurs.

Cette pression peut donc être régulière notamment pour les Services marchés qui doivent constamment s’adapter réglementairement et humainement à tous les projets et à toutes les urgences avérées ou non.

 

 

« Il y a urgence à faire évoluer les processus internes et le management au sein des structures, afin qu’elles évoluent elles aussi en s’adaptant de manière complémentaire à la réglementation »

 

Aujourd’hui, nous avons une réglementation cohérente et évolutive qui nous permet de disposer de l’ensemble des outils à la réalisation d’un achat « intelligent » mais qui impose aux différents acteurs de l’achat une concertation en amont, afin de définir le meilleur chemin réglementaire pour y parvenir. Au-delà des dispositions réglementaires, le choix de la stratégie d’achat et le travail en équipe sont essentiels, l’Acheteur n’achetant plus pour lui-même mais avec un impact sociétal.

 

Dorénavant, la fonction d’acheteur public exige de prendre en compte des obligations croissantes portant sur des aspects économiques, sociaux et environnementaux tout en permettant l’accessibilité des TPE/PME à la commande publique. Anticipation et prévision sont donc les 2 mots d’ordre de l’achat public et c’est encore plus vrai maintenant ! Il y a donc urgence à faire évoluer les processus internes et le management au sein des Structures, afin qu’elles évoluent elles aussi en s’adaptant de manière complémentaire à la réglementation, permettant ainsi aux acteurs de l’achat de se concerter en équipe plus en amont et de travailler plus sereinement.

 

 

Quelles sont les raisons principales qui pourraient expliquer ce stress en interne ?

L’incompréhension des dispositions réglementaires encadrant la commande publique est déjà un premier stress chez les personnes qui débutent. J’estime qu’il faut environ 3 à 5 ans de pratique régulière avant de pouvoir naviguer et d’intégrer une gymnastique intellectuelle conforme au droit afin de se poser les bonnes questions. C’est parfois difficile à entendre mais plus vous êtes confrontés à des problématiques dans la passation d’un marché, plus vous cherchez des solutions réglementaires et plus vous montez en compétence.

Pour le reste, nous l’avons en partie évoqué plus haut notamment avec les notions d’urgence, de management et de processus interne qui peuvent contribuer à amplifier une pression déjà présente et accentuer le stress des agents.

 

La communication, la compréhension, la bonne formulation, le bon sens et l’anticipation entre les membres d’une équipe chargés de la passation d’un marché sont aussi des corollaires indispensables à la transposition du droit de la commande publique. Les possibles contradictions dans les pièces d’un marché, le manque de définition des besoins et d’objectivité des critères et sous-critères, les incohérences et la nature des questionnements des entreprises lors de la publicité sont autant d’indices qui reflètent les problématiques structurelles des Acheteurs.

 

 

« Prendre plus de temps dans la préparation du marché, dans la définition des besoins et dans la stratégie d’achat est un gage d’efficacité par la suite »

 

Concernant la notion d’urgence (sauf l’urgence impérieuse), celle-ci est toute relative dans la commande publique compte tenu des délais réglementaires parfois incompressibles auxquels les Acheteurs sont soumis. La notion d’urgence consistant à lancer une consultation à une date donnée et/ou de réduire artificiellement les délais de publicité est contre-productive compte tenu du fait qu’il est possible d’optimiser les délais de préparation du marché et d’analyse des offres selon l’organisation et la méthode retenues en interne.

Prendre plus de temps dans la préparation du marché, dans la définition des besoins et dans la stratégie d’achat est un gage d’efficacité par la suite en termes de sécurité juridique, de performance et de délais de passation.  Prendre du recul, travailler en équipe plus en amont c’est aussi prendre de l’avance en anticipant les problématiques pouvant se poser sur le déroulement de la consultation et notamment lors de l’analyse des offres conditionnant le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse au regard des critères d’attribution prédéterminés. Cela contribue à professionnaliser l’achat public, à diminuer la pression et à retrouver un esprit d’équipe, car le côté humain est aussi très présent dans ce métier.

 

Il est donc normal d’avoir des désaccords entre la partie technique et juridique dans la commande publique car ne n’est pas une science exacte et c’est parfois difficile à entendre pour certains acteurs de l’achat. Un jour c’est admissible et un autre jour ça ne l’est plus car c’est aussi du cas par cas. Cela peut donc engendrer des incompréhensions et des tensions au sein des Structures. Au niveau juridique et en tant que praticien passionné depuis maintenant une vingtaine d’années, j’aime à me répéter que je ne dois pas être un empêcheur de tourner en rond (« c’est comme ça et pas autrement ! ») mais un chercheur de solution (« ce n’est pas admissible en l’état mais nous pouvons te proposer une solution réglementaire pour y parvenir ! »). Cela permet de recentrer la concertation sur un nouvel élément et de diminuer la pression au sein de l’équipe.

 

Ces tensions trouvent aussi leur origine dans la manière dont est communiquée l’information sur le besoin, les contraintes et les attentes, car il s’agit après pour l’acheteur concerné de les traduire en langage marchés publics. Cette traduction va dépendre en partie de sa compréhension, de sa connaissance, de sa curiosité mais aussi de son savoir-faire dans l’achat public.

  

 

Ces causes sont-elles inhérentes au métier d’acheteur public ou peuvent-elles être combattues ?

A mon sens, tous les métiers nécessitant de réunir plusieurs compétences distinctes de manière interopérable et coordonnée constituent un facteur de stress, plus ou moins important selon le ressenti propre à chaque personne.

Au niveau de l’achat public il s’agit notamment de réunir des compétences techniques, juridiques, administratives, financières (et d’autres selon la nature du besoin) que l’on va associer pour déterminer une stratégie d’achat dans le respect d’un environnement réglementaire évolutif.

 

La constitution d’une équipe adaptée au regard de la complexité du besoin et des attentes est donc primordiale pour travailler sereinement. Il s’agit de mettre des moyens adaptés aux enjeux de l’achat mais les Acheteurs publics, selon leur taille, n’ont pas tous la capacité de le faire.

 

 

« Il n’est plus envisageable aujourd’hui de vouloir standardiser ou de stéréotyper la passation des marchés publics, compte tenu du cadre réglementaire évolutif et environnant encadrant la nature des besoins »

 

Quels leviers d’amélioration identifiez-vous pour diminuer ce stress ? Quels sont vos conseils, issu de votre expérience, pour lutter contre ce stress ?

Plusieurs leviers peuvent permettre de professionnaliser l’achat tout en diminuant le stress, nous pouvons citer notamment :

 

  • Le recensement précis des besoins en fin d’année N pour l’année N+1, ayant dans un premier temps pour objectif de respecter la computation des seuils et dans un second temps de l’optimiser comme un outil organisationnel permettant aux Acheteurs d’obtenir une meilleure lisibilité des projets en ciblant, d’une part, les achats standards sans grande difficulté et, d’autre part, les achats plus spécifiques nécessitant un travail en amont afin d’adapter le processus interne et la mise en œuvre d’un sourçage (sourcing).
  • L’arbitrage hiérarchique est important. Pas inutile de rappeler que l’achat public est un travail collégial mais que chacun des acteurs est responsable de l’achat en raison de la nature de ses fonctions. Cet arbitrage est donc primordial car il permet, en cas de problématiques juridiques ou techniques, de disposer d’une ligne de conduite commune.
  • La méthodologie de passation des marchés développée de manière pratico-pratique en interne est aussi essentielle, car elle participe à une meilleure approche de la réglementation des marchés par les agents (guide interne, maquettes…).

C’est d’ailleurs l’un des objectifs de la formation « les marchés publics en pratique » et « l’autocontrôle des marchés publics » qui disposent d’outils, de documents de travail remis aux participants afin qu’ils puissent mieux appréhender certaines étapes clés de passation d’un marché. Ces deux formations, que j’ai conçues en partenariat avec CFC,  visent pour les participants à mieux transposer les principes réglementaires applicables dans leur quotidien en y associant outils, techniques et méthode de manière à professionnaliser leur démarche dans la passation des marchés.

  • La formation est bien entendue indispensable car elle permet de prendre confiance dans ce métier afin d’être force de proposition et de monter en compétence, en réduisant sa méconnaissance selon son degré d’intervention dans la commande publique.
  • L’externalisation de certains besoins ou missions identifiés via des Assistances à Maîtrise d’Ouvrage (AMO) ou des Centrales d’achats permettra aussi d’atténuer la pression en permettant aux acteurs de travailler plus en amont sur des projets plus spécifiques, déterminés ou non.

 

Dans tous les cas, il n’est plus envisageable aujourd’hui de vouloir standardiser ou de stéréotyper la passation des marchés publics, compte tenu du cadre réglementaire évolutif et environnant encadrant la nature des besoins.

 

L’organisation, les moyens, la méthode et les choix opérés en interne au sein des Structures d’Achat seront aussi déterminants dans le bon fonctionnement et l’optimisation de l’achat public en contribuant à professionnaliser les différents acteurs dans les meilleures conditions.

 

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Envie de vous former sur le sujet ?

Découvrez ici nos formations : « Les marchés publics en pratique : techniques, méthodes et analyse »

                                                         « L’autocontrôle des marchés publics »

 

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A propos de l’auteur :

Après une carrière militaire de onze ans au sein du ministère des Armées, pendant laquelle il a occupé différents postes dans l’achat public ainsi que des fonctions de formateur spécialisé marchés publics au sein de différents organismes militaires, Fabien ODINOT rejoint la fonction publique territoriale ou il crée un Service Marchés et Achats publics dont il prend la responsabilité au sein d’une collectivité.

 

Actuellement Conseiller en marchés et achats publics au Conseil Départemental de la Gironde, Fabien ODINOT exerce un rôle de support d’expertise technique et juridique mais aussi de contrôle, de conseils et d’accompagnement des services opérationnels et des services marchés afin d’optimiser la performance de l’achat et de sécuriser juridiquement les marchés.

 

Passionné par le domaine de l’achat public, il conçoit et anime des formations depuis une douzaine d’années.