Marchés Publics

Marchés publics : l’IA rebat les cartes. Comment garder la main et le savoir-faire ?

Le 24/07/25 par Fabrice RICHOUX, Consultant formateur marchés publics, expert en achats. Formateur certifié spécialisé dans l’IA appliquée aux marchés publics et aux stratégies d’achats.

 

Article de Fabrice RICHOUX, Consultant formateur marchés publics, expert en achats. Formateur certifié spécialisé dans l’IA appliquée aux marchés publics et aux stratégies d’achats.

Pour CFC Formations, Fabrice RICHOUX conçoit et anime des formations sur l’IA dans les marchés publics.

 

 

L’intelligence artificielle n’est plus un concept abstrait. Dans les marchés publics, elle devient une réalité quotidienne qui oblige à repenser les pratiques et les compétences.

J’accompagne régulièrement des acheteurs publics, et je constate leur désarroi face à cette transformation. Entre les promesses miraculeuses des éditeurs, la multiplication des offres de formation et le battage médiatique, difficile de distinguer l’essentiel du superflu. Comment s’y retrouver ? Par où commencer ?

Mon expérience m’a appris qu’il faut avancer progressivement. Embarquer les équipes étape par étape, tester sur des cas réels, mesurer concrètement les gains. C’est dans cet esprit que je souhaite partager quelques réflexions issues du terrain.

 

 

 

Ce que l’IA peut vraiment apporter (au-delà des discours marketing)

L’efficacité, oui. Mais gare à la perte de compétences.

L’IA peut effectivement automatiser de nombreuses tâches répétitives et libérer du temps pour des activités plus stratégiques. C’est un fait.

Mais il y a un revers à cette médaille. Ces tâches « simples » constituent souvent le terreau de formation des jeunes acheteurs. C’est en traitant des dossiers basiques qu’on développe ses réflexes, qu’on apprend à détecter les anomalies. Les incohérences subtiles, les formulations inhabituelles, les chiffres qui ne collent pas… Ces signaux faibles qu’un acheteur expérimenté repère instinctivement, ils s’acquièrent dans la pratique répétée.

Si l’automatisation supprime totalement ces étapes d’apprentissage, comment les nouvelles générations vont-elles acquérir les fondamentaux du métier ?

Le risque est réel de voir des acheteurs qui maîtrisent parfaitement les outils mais qui ont perdu cette capacité d’analyse critique, ce « flair » qui fait la différence entre un bon et un excellent acheteur. C’est une vraie question qui mérite qu’on s’y attarde.

 

 

L’aide à la décision : utile mais pas magique

L’IA peut analyser des volumes de données impressionnants et proposer des comparaisons objectives. Un atout indéniable pour éclairer nos décisions.

Cependant, l’expertise d’un acheteur expérimenté ne se résume pas à de l’analyse pure. Elle inclut cette part d’intuition, ce « feeling » qui nous alerte face à une offre suspecte ou une formulation ambiguë. Cette compétence tacite se construit au fil des années, au contact des dossiers.

Les métriques peuvent être parfaites sur le papier, mais il y a toujours cette dimension humaine, ce sixième sens qui fait qu’on va creuser un point particulier, poser la bonne question, identifier le risque caché. C’est ce qui différencie l’analyse mécanique de l’expertise véritable.

Si on délègue trop à l’IA, le risque est de perdre cette capacité de jugement qui fait la valeur ajoutée d’un acheteur. C’est un équilibre délicat à trouver : utiliser l’outil pour ce qu’il fait bien (traiter la masse, identifier des indicateurs) tout en gardant l’esprit critique aiguisé.

 

 

Une approche plus stratégique… si on reste aux commandes

L’IA peut vous aider à identifier des tendances de marché, suggérer des indicateurs pertinents, optimiser vos processus. Mais elle ne remplace pas le pilotage humain. Un outil, aussi sophistiqué soit-il, reste un outil. C’est à vous de définir les objectifs, d’interpréter les résultats, de prendre les décisions finales.

L’IA vous donne des données, des probabilités, des scénarios. À vous de les mettre en perspective avec la réalité du terrain, les enjeux politiques, les contraintes humaines. C’est ça, le vrai boulot stratégique.

 

 

 

Les défis à ne pas sous-estimer

La responsabilité juridique : qui répond de quoi ?

Quand une décision assistée par IA est contestée, comme une analyse des offres, qui porte la responsabilité ?

Comment s’assurer qu’un algorithme respecte les principes de non-discrimination ? L’IA Act européen apporte des éléments de réponse, mais beaucoup reste à construire sur le terrain.

Le problème est plus complexe qu’il n’y paraît. Un algorithme peut, sans intention malveillante, créer des biais. Il peut favoriser involontairement certains types d’entreprises simplement parce qu’elles maîtrisent mieux le vocabulaire attendu ou qu’elles ont des ressources dédiées à la réponse aux marchés publics. Des TPE, PME  qui ont moins de moyens pour optimiser leurs réponses, peuvent se retrouver systématiquement désavantagées.

La transparence devient un enjeu majeur. Il ne s’agit plus seulement de motiver les décisions, mais d’être capable d’expliquer comment l’outil a contribué à ces décisions. C’est un changement de paradigme qui demande de nouvelles compétences et une nouvelle rigueur.

 

 

Le facteur humain : plus qu’une question de formation

Le marché de l’IA pour les marchés publics est en pleine effervescence. Les éditeurs se multiplient, les promesses aussi. Face à cette offre parfois confuse, le discernement devient essentiel. Mais au-delà de savoir « utiliser » l’IA, la vraie question est : comment l’intégrer sans déqualifier nos équipes ? Comment en faire un outil de montée en compétence plutôt qu’un substitut aux compétences ?

Trop souvent, l’enthousiasme initial retombe après quelques mois. L’outil, mal intégré ou mal compris, finit par être délaissé. Une forme de défiance s’installe vis-à-vis de l’innovation. L’échec n’est pas technique, il est humain.

Il s’agit de repenser notre approche : voir l’IA non comme un exécutant mais comme un assistant qui peut accélérer l’apprentissage au lieu de le court-circuiter. Par exemple, plutôt que de laisser l’IA rédiger automatiquement vos cahiers des charges, pourquoi ne pas l’utiliser comme un « partenaire » ? Elle propose une première version, vos équipes l’analysent, la critiquent, l’améliorent. C’est formateur et ça évite la paresse intellectuelle.

Un autre point important: la résistance au changement. Ne la sous-estimez pas. Des acheteurs chevronnés, excellents dans leur domaine, peuvent se retrouver complètement bloqués face à ces outils. Pas par incompétence, mais par peur. Peur d’être remplacés, peur de ne pas être à la hauteur, peur de perdre ce qui fait leur expertise. Il faut accompagner ces craintes, montrer que l’IA est un complément, pas un concurrent.

 

 

La dépendance technologique : un risque à anticiper

Au-delà des questions de sécurité des données (bien réelles avec les IA génératives), il faut aussi penser long terme. Le marché des solutions spécialisées est encore jeune, avec peu d’acteurs. Le risque ? Se retrouver captif d’un éditeur, avec des coûts qui explosent et peu de marge de négociation. Sans parler de la maintenance de compétences internes pour ne pas devenir totalement dépendant.

Le risque de dépendance est bien réel. Le marché des solutions IA spécialisées dans les marchés publics reste concentré autour de quelques acteurs. Que se passe-t-il si les tarifs explosent ? Si les conditions changent du tout au tout ? La réversibilité devient alors un casse-tête, surtout si les données sont enfermées dans des formats propriétaires.

La question de la propriété et de la portabilité des données est fondamentale. Sous quel format sont-elles stockées ? Peut-on les récupérer facilement pour changer de solution ? Ces questions techniques, souvent reléguées au second plan dans l’enthousiasme du déploiement, deviennent critiques quelques années plus tard.

Et puis il y a l’enjeu de la confidentialité. Les stratégies d’achat, les historiques de prix, les analyses de marché… Toutes ces données sensibles alimentent l’IA. Où sont-elles hébergées ? Qui y a accès ? L’éditeur peut-il les utiliser pour « améliorer son algorithme » – et donc potentiellement en faire bénéficier d’autres clients ? Le cadre contractuel doit être béton sur ces aspects, mais combien de collectivités ont vraiment les moyens de négocier avec des géants du numérique ?

 

 

L’illusion de la neutralité : les biais cachés

Un point qu’on oublie souvent : l’IA n’est pas neutre. Elle reproduit les biais présents dans les données qui l’ont nourrie.

Détecter ces biais demande une vigilance constante et une compréhension fine du fonctionnement de l’outil. Il faut régulièrement auditer les résultats, questionner les corrélations, vérifier que l’IA ne reproduit pas des schémas discriminatoires. Encore une compétence à développer, encore une responsabilité à assumer.

 

 

 

L’enjeu : faire de l’IA un levier de développement des compétences

La situation peut sembler complexe. Elle l’est, mais c’est aussi ce qui la rend stimulante.

La question n’est plus de savoir s’il faut utiliser l’IA – elle est là. La vraie question est : comment l’intégrer intelligemment pour renforcer nos équipes plutôt que les affaiblir ?

Cela implique de dépasser la simple formation technique. Il faut établir une vraie stratégie d’usage : définir ce qu’on délègue et ce qu’on garde, fixer des garde-fous, et surtout réfléchir à comment l’IA peut devenir un accélérateur de compétences pour tous.

C’est probablement l’un des défis managériaux les plus intéressants pour la profession dans les années qui viennent. Pas juste un défi technique, mais un vrai projet de transformation qui touche au cœur des métiers de l’achat public.

 

 

 

Pour conclure

L’IA dans les marchés publics n’est ni une menace absolue, ni la solution à tous vos problèmes. C’est un outil puissant qui peut transformer votre métier… dans le bon ou le mauvais sens selon comment vous l’utilisez.

L’enjeu aujourd’hui n’est pas technologique, il est humain. Il s’agit de développer collectivement la lucidité et les compétences pour faire des choix éclairés.

Cette maîtrise, c’est à vous de la construire. Pas dans la précipitation, pas dans la peur, mais avec méthode et intelligence collective. L’avenir de vos métiers en dépend.

 

 

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