Bâtiment et Construction

La rémunération des maîtres d’œuvre : la loi et la coutume

Le 5/03/20 par Olivier HACHE - Expert formateur en contrats publics

 

Anciennement chef du service des Marchés et des Affaires Juridiques à l’Etablissement Public de Maîtrise d’Ouvrage de Travaux Culturels (Ministère de la Culture), Olivier Hache a acquis une forte expertise dans la direction d’opérations de travaux et de construction, la programmation architecturale et l’assistance à maîtrise d’ouvrage.

 

Pour CFC Formations, Olivier HACHE anime des formations sur la Maîtrise d’ouvrage publique, les marchés de maîtrise d’œuvre et les marchés de travaux.

 

 

 

 

Suite à de très nombreuses défaillances observées dans la gestion et l’exécution des marchés publics de maîtrise d’œuvre, nous avons souhaité apporter un éclairage quant à la rémunération de ces marchés qui relève bien souvent, davantage de la coutume que de la règle.

 

Il apparaît en effet que depuis la promulgation de la loi n°85-704 du 12 juillet 1985 dite loi MOP transposée à droit constant dans le livre IV du code de la commande publique (CCP), régissant les rapports entre les maîtres d’ouvrage de droit public et les maîtres d’œuvre de droit privé, la « pratique » de la rémunération des maîtres d’œuvre selon un taux appliqué au montant des travaux persiste de manière uniforme et coutumière non seulement au sein de la quasi-totalité des maîtres d’ouvrages publics mais semble également bien inscrite dans l’esprit des maîtres d’œuvre de droit privé.

 

Le présent écrit se propose de remettre à plat des pratiques qui ne correspondent pas à l’application des textes en vigueur depuis plus de trente ans dans notre pays.

Afin d’expliquer les déviances observées, nous reprendrons chronologiquement les grandes étapes qui ont encadrées la rémunération de ces acteurs singuliers et incontournables que sont les maîtres d’œuvre.

 

 

1 ) – Le décret 73-207 du 28 février 1973 et l’arrêté du 29 juin 1973 relatifs aux conditions de rémunération des missions d’ingénierie et d’architecture remplies pour le compte de collectivités publiques par des prestataires de droit privé.

Ces textes avaient, en leur temps, eu le mérite de vouloir harmoniser les pratiques de rémunération des bureaux d’études techniques d’ingénierie dans le cadre des missions qui leur étaient confiées par des maîtres d’ouvrage publics, pour des interventions relevant de la maîtrise d’œuvre (études de conception et/ou en tout ou partie, suivi de chantier).

 

Des barèmes de rémunération avaient été publiés afin de prendre en compte la complexité des tâches à effectuer. A l’époque, il existait 12 niveaux de missions normalisées (codifiés de M1 à M12) pouvant être confiées aux maîtres d’œuvre, selon que la conception comportait ou non la réalisation d’un projet, selon que le prestataire se voyait confier une mission globale ou partielle de maîtrise d’œuvre.

En fonction du niveau de mission confié au prestataire et du niveau de complexité projeté de l’opération, la rémunération, selon un barème préalablement défini, correspondait à un taux affecté au coût d’objectif assigné au projet.

 

Avec la promulgation de la loi MOP, puis la parution de son décret d’application 93-1268 du 29 novembre 1993, le décret du 28 février 1973 a été abrogé (cf. article 32 du décret de 1993). Il avait alors été constaté que les barèmes de rémunération semblaient être un frein à la libre concurrence et à l’amélioration de la productivité des études.

En outre, ces barèmes s’avéraient être inadaptés au regard de l’érosion monétaire, de l’évolution du contenu même des missions et des méthodes de travail.

 

 

2 ) – L’ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence

Depuis l’ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, les prix sont librement établis ; ils sont le reflet du rapport économique entre l’offre et la demande.

Ce texte a abrogé toute référence à des grilles de rémunérations, des abaques et des taux imposés sauf cas exceptionnels de tarifs réglementés, comme c’est encore actuellement le cas pour les maîtres d’œuvre intervenant sur des monuments historiques classés appartenant à l’Etat (cf. décret 2007-1405 du 28 septembre 2007 portant statut particulier du corps des architectes en chef des monuments historiques – ACMH). Soulignons que les ACMH intervenant pour le compte de l’Etat sont des agents qui relèvent du corps de la fonction publique et restent toujours en situation de monopole. L’application d’un barème n’est, dans ce cas, pas contestable.

 

Le régime applicable aux collectivités territoriales est sensiblement différent, puisque toute intervention de ces maîtres d’œuvre relève du champ concurrentiel ce qui, par conséquent, impose la passation d’un marché public.

Ce texte législatif est fondamental quant à la liberté donnée aux opérateurs d’établir librement leurs prix selon leur politique commerciale, leurs charges fixes, charges variables et marges.

 

 

3 ) – La loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée – dite loi MOP et son décret d’application 93-1268 du 29 novembre 1993, transposés dans le livre IV du CCP

La loi MOP et son principal décret d’application, dont la parution est intervenue malheureusement très tardivement, régissent la rémunération des maîtres d’œuvre de la manière suivante :

  • la rémunération est forfaitaire et provisoire ;
  • elle doit être fixée de manière définitive au plus tard à l’issue des études d’avant-projet (avant-projet définitif – APD en bâtiment et avant-projet – AVP pour les ouvrages d’infrastructure) ;
  • des taux de tolérance encadrent la mission et la rémunération en fin de phase « études » et en fin de phase « travaux ».

3-1 ) – Une rémunération forfaitaire basée sur de nombreux paramètres

 

La rémunération des maîtres d’œuvre est forfaitaire et, à ce titre, nous rappelons que ni la loi MOP, ni son décret d’application du 29 novembre 1993 n’ont stipulé ni prévu de rémunération selon un taux appliqué à un montant de travaux. Ce que l’article R2432-6 du décret 2018-1075 est venu rappeler de manière très claire.

 

La contractualisation d’un taux de rémunération est une « pratique coutumière » qui ne peut être recommandée puisque le CCP prévoit à son article L2432-1 que « la mission de maîtrise d’œuvre donne lieu à une rémunération forfaitaire fixée contractuellement et qui tient compte de l’étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux ».

L’article R2432-6 du décret 2018-1075 prévoit que « le contrat fixe la rémunération forfaitaire du maître d’œuvre en tenant compte de l’étendue de la mission appréciée au regard du nombre et du volume de prestations demandées, de l’ampleur des moyens à mettre en œuvre, du mode de dévolution des travaux, des délais impartis et, le cas échéant, du ou des engagements souscrits par le maître d’œuvre pour respecter le coût prévisionnel des travaux ; du degré de complexité apprécié notamment au regard de la technicité de l’ouvrage, de son insertion dans l’environnement, des exigences et contraintes du programme ; du coût prévisionnel des travaux basé soit sur l’estimation prévisionnelle provisoire des travaux établie par le maître d’œuvre lors des études d’avant-projet sommaire, soit sur l’estimation prévisionnelle définitive des travaux établie lors des études d’avant-projet définitif ».

 

L’élaboration du forfait de rémunération du maître d’œuvre, comme l’a souligné le décret, comprend en définitive de nombreux paramètres qui ne peuvent être synthétisés en un seul taux de rémunération appliqué au montant des ouvrages projetés. L’appréciation et l’évaluation du forfait de rémunération sont de nature bien plus complexe. Elles sont essentiellement liées aux attendus du programme établi en amont par le maître d’ouvrage.

 

L’usage du taux conduit à appréhender le travail du maître d’œuvre sur un paramètre uniquement financier et ne traduit en aucun cas les spécificités de cette mission, notamment au regard des moyens mis en œuvre, des engagements sur les performances et contraintes programmatiques, sur les délais et sur le coût des ouvrages, mais aussi, quant à la prise en compte de la cession des droits d’auteur, de la technicité des constructions etc.

 

Par ailleurs, il semble particulièrement aberrant de rémunérer un acteur dont les responsabilités et les devoirs de conseil, de direction et de surveillance ont été étendus au fil du temps, uniquement sur un montant de travaux. Ceci n’est pas le reflet de la complexité et des engagements contractualisés.

Ce qui doit être rémunéré par le pouvoir adjudicateur est un prix correspondant à des prestations préalablement définies dans un marché et ce, au vu d’un « service fait ». En définitive, ce que le maître d’ouvrage se doit de régler à son prestataire, c’est du temps passé nécessaire pour réaliser les missions contractuelles, au vu d’un programme, de moyens et de compétences à mettre en œuvre pour réaliser la mission.

 

3-2 ) – Une rémunération traitée sur la base d’un prix provisoire

 

Il est précisé que des marchés à prix provisoires peuvent être conclus dans le cadre de prestations de maîtrise d’œuvre inscrites dans le champ d’application du livre IV du CCP, et ce, en application de l’article L2112-18 du décret 2018-1075.

Le prix provisoire est un prix qui ne peut être établi de manière certaine à la notification du marché. Un certain nombre de paramètres connus ultérieurement, à un moment précis dans l’exécution du marché, permettront de fixer un prix définitif.

 

Le forfait de rémunération du maître d’œuvre est donc traité à prix provisoire, sur la base d’un forfait à l’article L2112-18 du CCP, qui sera, par la suite rendu définitif par voie d’avenant au plus tard en fin d’études d’avant-projet.

L’avenant est indispensable à la contractualisation du forfait, dans la mesure où il concerne un élément substantiel du marché qu’est le prix. La fixation du forfait de rémunération définitif devra être opérée y compris dans le cas où le forfait de rémunération définitif resterait inchangé.

 

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Commentaires

  1. Bonjour,
    Votre article est très intéressant mais je ne parviens pas à trouver une info, que je ne trouve d’ailleurs nulle part de façon clair : le passage de la rémunération provisoire à la rémunération définitive, peut il être de + de 50% de la rémunération provisoire ? Selon la règle de non dépassement de +de 50% du prix du marché par avenant.

    En vous remerciant.
    Evane Briens

    Le 26 octobre 2021, par Eveb
  2. Le passage du forfait de rémunération provisoire au forfait de rémunération définitif est fixé à la fin des études d’avant-projet (AVP ou APD) par voie d’avenant.
    Conformément à l’article L2194-1 du code de la commande publique, le marché peut être modifié à hauteur de 50% uniquement dans les cas suivants :

    (…)
    2° Lorsque, sous réserve de la limite fixée à 50%, des travaux, fournitures ou services supplémentaires, quel qu’en soit leur montant, sont devenus nécessaires et ne figuraient pas dans le marché public initial, à la double condition qu’un changement de titulaire:
    a) Soit impossible pour des raisons économiques ou techniques tenant notamment à des exigences d’interchangeabilité ou d’interopérabilité avec les équipements, services ou installations existants achetés dans le cadre du marché public initial ;
    b) Présenterait un inconvénient majeur ou entraînerait une augmentation substantielle des coûts pour l’acheteur ;
    3° Lorsque, sous réserve de la limite fixée à 50%, la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir;
    (…).

    En conséquence, sauf à justifier un tel écart de forfait selon un des deux motifs ci-avant, il ne semble pas envisageable d’obtenir une telle augmentation du forfait de rémunération du MOE.

    Une telle augmentation serait la cause :

    – soit d’une mauvaise définition du programme et une opacité des contraintes contractuelles;

    – soit parce que le MOE a particulièrement mal chiffré ses honoraires;

    – soit parce que la rémunération provisoire a été établie sur la base d’un taux de rémunération et que le montant des travaux a augmenté de 50%, en conséquence de quoi, le MOE réclame une rémunération proportionnelle à l’augmentation du montant des travaux ce qui est ABSOLUMENT contraire à la loi MOP ou au livre IV du CCP, comme je me suis efforcer de le montrer dans mon article.

    Le 9 décembre 2021, par Laure Nogues
  3. Bonjour,
    Effectivement, article et commentaires très intéressants. Une fois la rémunération devenue définitive (étapes post-APD), le forfait de rémunération peut encore bougé (modification de programme par ex), cette modification étant contractualisée par avenant. Le calcul du montant de cette modification doit-il être opéré sur le prix initial (provisoire)°? ou sur la base du forfait définitif définit à la fin de la phase APD ? Avec mes remerciements, C. Rochet

    Le 11 mars 2022, par Rochet Charline
  4. à partir de quelle phase des études s’applique l’avenant de Maitrise d’Oeuvre ?
    A partir de la phase APD ou est-ce que l’avenant s’applique également sur les phases antérieures (et donc avec effet rétroactif ?

    Le 12 mars 2022, par BARRIER
  5. Je souhaiterais savoir si le salaire du maître d’oeuvre est calculé sur la base d’un montant des travaux incluant obligatoirement les achats (ex: meubles et tout ce qui a trait au sanitaire pour la rénovation de la salle de bain ).
    Merci de votre réponse.

    Le 6 avril 2022, par BRUNELET Elisabeth
  6. Bonjour,

    Un marché de travaux de requalification de voiries comportant un phasage sur plusieurs années va subir un décalage de ce phasage sur une ou deux années supplémentaires.
    Le maître d’oeuvre peut-il voir sa rémunération augmenter simplement pour ce motif?
    Comment déterminer cette augmentation?

    En vous remerciant.

    Le 8 avril 2022, par GARCIA
  7. En réponse à BARRIER,

    Dans la mesure où les modifications interviendront au plus tard avant la fin des études d’AVP, les incidences de rémunérations du fait de l’évolution du programme seront établies sur la base du forfait provisoire, donc du prix initial.

    Le 11 mars 2024, par Olivier Hache
  8. En réponse à BARRIER,

    L’avenant fixant le forfait de rémunération définitif, le coût prévisionnel définitif des travaux, l’allotissement, le planning, la stabilisation du programme et de la conception doit intervenir au plus tard à la fin des études d’AVP (APD en bâtiment). Si l’avenant prend en compte des évolutions intervenues en phase d’APS, il doit être établi durant cette phase.

    Le 11 mars 2024, par Olivier Hache
  9. En réponse à BRUNELET Elisabeth,

    Il ne s’agit pas d’un salaire mais d’honoraires. Ces honoraires sont calculés, comme le précise mon article, sur la base de divers paramètres mais en aucun cas sur la base d’un taux appliqué au montant des travaux et, le cas échéant, des mobiliers. Ce qu’on paie au Moe, c’est un forfait de rémunération basé sur du temps passé, tenant compte de la complexité du programme, des moyens à mettre en œuvre, de la durée de l’opération etc.

    Le 11 mars 2024, par Olivier Hache
  10. En réponse à GARCIA,

    Si la durée de l’opération s’allonge, il conviendra de revoir avec le Moe, les effets de cet allongement sur sa charge de travail : quelles sont les tâches réalisées durant cet allongement et comment les prendre en compte forfaitairement. Il n’y a pas de proportionnalité entre la rémunération et l’allongement des délais (cf. Arrêt Babel [1] Arrêt du CE 29 septembre 2010, n° 319481, « Société Babel c/ Commune d’Orange »

    Le 11 mars 2024, par Olivier Hache